Luciole jeta un bref regard par dessus son épaule au commissaire, mais ne s'arrêta pas, enfilant à grandes enjambées le couloir de l'hôtel. Elle tourna au bout, disparaissant de sa vue, et Scott l'entendit dévaler un escalier. Il se mit à courir après elle. L'escalier, sombre, s'enfonçait dans les profondeurs de la terre. Il avança, saisit l'une des torches qui brûlaient au mur...

"Une torche ?" se dit-il à voix haute. "C'est quoi ce délire ?"

L'escalier plongeait toujours plus loin, dans le noir le plus absolu n'eût été la torche vacillante. Marche par marche, il descendait. Un palier se dévoila brusquement, et Scott se figea. Au milieu du palier, couché sur le dos, se trouvait le corps d'une femme, dans une belle robe d'une blancheur immaculée. Elle tenait sa tête entre les mains, telle une poupée désarticulée. Le visage était caché par une épaisse voilette blanche. Pas une goutte de sang nulle part. Scott tendit une main tremblante et souleva le voile, lentement, comme on dénude un corps aimé. Luciole le regardait, avec une expression mi-surprise, mi-amusée.

"Noooon !" cria-t-il, en se redressant brutalement. Sa tête heurta le dossier du fauteuil, le ramenant à la réalité. "Merde, encore ce rêve idiot," fit-il, avec un soulagement qui le surprit lui-même. Depuis une dizaine d'années, un assassin onirique avait ainsi découpé toutes les personnes que Scott aimait, certaines de nombreuses fois, d'autres plus rarement. Jeanne, et Luciole pendant un temps, avaient été ses principales victimes.

"Jeanne. Réglons d'abord ça, j'aurais la tête libre ensuite." Les disparitions de Jeanne faisaient partie de leur vie de couple. C'était une danse nuptiale élaborée, complexe, qui leur était indispensable. Personne n'aurait parié un centime sur leur couple lors de leur mariage, et pourtant il durait depuis 15 ans - et six disparitions de Jeanne, sept aujourd'hui. C'était une forme de cache-cache, à grande échelle. Il savait qu'elle continuait à aller travailler, mais le quartier en question lui était interdit par leurs règles implicites, c'eût été trop facile. Si au bout de cinq jours Scott n'avait pas retrouvé Jeanne, elle commençait à lui envoyer les photos de ses lieux de séjour, une par jour. Au dixième jour, elle l'appelait. Scott ignorait le type de l'indice suivant, le jeu n'ayant jamais duré plus de treize jours. Il préférait ne pas penser à ce qui pourrait se passer s'il ne retrouvait pas Jeanne. Il décrocha son téléphone, réveilla deux collègues, donna quelques ordres sans urgence particulière, mais ne traînez pas...

Ses dispositions prises, il alluma son notepad. La photo de Luciole devait être transmise au labo, c'était évident. Pareil pour le bristol. Amour, Haine, Folie, Mort, est-ce que ça pouvait signifier quelque chose ? La journaliste devait être interrogée, elle semblait bien informée sur Brénès. La convoquer ? Autant aller chez elle, ou à sa rédaction, ce sera plus simple. Elle pourra certainement lui faire un topo sur le petit monde opératique et ses coteries. Hmmm oui c'est un bon angle d'approche, ça. Peut-être même pourrait-il obtenir une indication du lien entre Brénès et Luciole.

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